Entrevue avec Pierre Normandeau, éducateur de santé

 

Après 26 ans, j’ai retrouvé Pierre Normandeau au restaurant végétarien Le Commensal à Québec.
Au moment où j’étais membre de la coopérative d’aliments naturels que tu avais fondée, ce restaurant végétarien spacieux, aménagé dans un bel endroit, avec un menu varié et attrayant n’existait pas!
En effet, nous avons parcouru beaucoup de chemin depuis les premiers mouvements verts. Nous étions alors des marginaux, mais il semble que notre message poursuit son chemin, exerce une certaine influence, mais il reste encore beaucoup de chemin à parcourir : les méthodes naturelles authentiques, l’hygiénisme, reste encore peu connues. On croit à toutes sortes de potions qu’on appelle naturelles et on néglige l’essentiel : un mode de vie sain.
Comment as-tu commencé sur ce chemin de la santé?
Grâce à une subvention, que j’avais eu le talent d’obtenir, j’animais à la radio de l’Université Laval, destinée aux étudiants, mais qui était écoutée par un public plus large, composé surtout de professionnels…
Oui je me souviens, j’écoutais cette émission.
Une émission qui visait à prévenir le sida et la consommation de drogues. Nous parlions bien sûr de l’importance de se protéger en portant ou en exigeant le condom, des risques des stupéfiants, mais aussi de l’importance de mener une vie saine pour rester en forme… et en vie. J’abordais donc tous les facteurs de santé.
Comment es-tu devenu animateur de radio.
J’avais commencé comme animateur de radio en région, puis j’ai obtenu une bourse d’étude en radio, télévision, cinéma et je suis allé étudier ces méthodes à l’École Polytechnique Ryerson de Toronto.
Et comment en es-tu venu à l’hygiène naturelle?
J’étais attiré par tout ce qui était à l’époque appelé «alternatif», et qu’on appelle aujourd’hui «écologique» ou «vert». Pour moi tout se tenait, la vie saine, l’autonomie en santé, l’agriculture biologique, les énergies douces, éolienne, solaire, les économies d’énergie, l’autoconstruction, l’isolation de maisons en ballot de paille, etc. J’invitais et j’interviewais des experts dans chacun de ces domaines. Je tentais d’influencer les gens vers ces idées-là.
Et ces idées se répandaient?
D’une façon oui. Ça ne veut pas dire que ça devenait une mode pour tout le monde, mais les nombreux jeunes qui recherchaient un mode de vie alternatif. J’ai été un des cofondateurs de plusieurs organismes : le Club de recherche en alimentation coopérative, un magasin coopératif d’aliments naturels, à une époque où il n’y en avait pas en ville, puis le Mouvement des coopératives d’alimentation naturelle, un chapitre local des Amis de la terre, un organisme écologique, le Mouvement pour l’agriculture biologique, pour en nommer quelques-uns.
Et quels moyens de diffusion employais-tu?
C’était des conférences, la publication de bulletins, la traduction et la publication d’ouvrages peu connus, la vente de livres; par exemple, j’ai conçu un napperon illustrant les combinaisons alimentaires adéquates et j’en ai vendu 50 000 au cours des années. Je les vendais par la poste, lors des conférences, par l’intermédiaire des centres de santé et de jeûne, certaines librairies spécialisées et les magasins d’aliments naturels. J’animais aussi des émissions à la télévision communautaire. Je produisais des cassettes audio et vidéo que je distribuais ensuite. Par exemple, j’ai obtenu une subvention du ministère de l’Éducation pour animer des activités d’éducation populaire sur l’agriculture biologique, l’alimentation végétarienne, l’hygiénisme, etc. J’ai organisé des congrès où j’ai invité de grands conférenciers dans le domaine de la santé naturelle : Claude Aubert, agronome, Jean Rocan, biologiste, Marcel Boivin et bien sûr Désiré Mérien, biologiste et docteur en hygiène vitale, que je considère comme le plus grand auteur en hygiénisme.
Qu’apporte-t-il de nouveau ou de plus dans la science et l’art de l’hygiénisme?
Mérien a par tâtonnement et par observation découvert la méthode du jeûne par paliers alimentaires, il a fait des observations spécifiques sur les variations de poids et de pouls pendant le jeûne, il a distingué les protéines maigres et les protéines grasses, ainsi que la biorespiration. Avec ces méthodes on peut conduire des jeûnes avec beaucoup plus de précision et d’efficacité. Ces livres sont ceux qui expliquent avec le plus de précisions et de nuances les méthodes de santé naturelle. Il parle en scientifique et en professeur qu’il est : il explique en détail ce que la biologie nous apprend. De plus, c’est l’hygiéniste qui a l’esprit le plus ouvert, qui ne critique pas les autres et propose à ses lecteurs ou aux résidents de son centre, différentes avenues que chacun peut moduler à sa façon. Tout le monde ne doit pas nécessairement jeûner : certains font une cure crue, d’autres une cure de jus et la plupart font une variation des paliers alimentaires en adoptant un menu plus léger, selon leur condition physique et leur motivation. J’ai d’ailleurs séjourné un mois dans son centre sans jeûner, même si je considère le jeûne comme très efficace.
Comment se passait la vie quotidienne dans ce centre?
D’abord, c’est un endroit très beau : une belle architecture, une maison de trois étages qu’il a fait construire, avec une douzaine de chambres, qui ressemble à un château, avec une belle vue sur la mer. La vie y est très relaxe, je faisais une descente progressive par paliers alimentaires et je participais à la séance quotidienne de biorespiration qui avait lieu en fin d’après-midi.
Parle-nous de cette biorespiration, qui est une innovation en hygiène naturelle.
Mérien a observé que spontanément des jeûneurs se mettaient à respirer plus profondément et plus rapidement pendant une certaine période, que cette activité déclenchait des émotions très diverses et qu’après les gens se sentaient beaucoup mieux. Il l’a expérimenté lui-même, en a constaté les bienfaits et l’a ensuite enseignée à des centaines de personnes. J’ai ainsi découvert en moi beaucoup de joie refoulée. On croit que la biorespiration ne déclenche que des émotions négatives, des peurs et des pleurs, mais ce n’est pas le cas. Pendant les séances, j’étais pris d’un rire incontrôlable! Depuis, je suis plus facilement ému et plus expressif. J’étais un bourreau de travail et maintenant je prends le temps de m’émerveiller devant la beauté de la nature, la musique.
Tu as étudié avec Mérien. Tu suivais des cours là-bas?
Pas vraiment. J’étais parti là pour me remettre en forme. J’avais fait un accident vasculaire cérébral. Et ce séjour m’a fait beaucoup de bien. J’ai étudié avec Mérien surtout quand je l’ai fait venir pour des séries de conférences et de cours.
Comme tu as abordé ton état de santé, laisse-moi te poser une question indiscrète. Es-tu venu à l’hygiène naturelle comme plusieurs l’ont fait? On sait que Mérien était très mal en point à la suite d’une vaccination intempestive, que Passebecq s’était guéri d’un ulcère à l’estomac par les méthodes naturelles, et on pourrait en nommer d’autres. Ils voulaient partager avec les autres les bienfaits qu’ils avaient obtenus pour eux-mêmes.
Non. Comme je t’ai dit, je suis venu à l’hygiénisme par intérêt pour tout ce qui était naturel, écologique, coopératif, autonome. Mais quand j’ai eu des problèmes de santé, j’étais très content de connaître ces méthodes. Une fois, j’ai eu une mastoïdite très douloureuse; j’ai jeûné et comme tu t’en doutes, je me suis rétabli. Une autre fois j’avais une hernie inguinale. Eh bien, même si on dit que le jeûne n’y peut rien changer, en jeûnant 10 jours je me suis débarrassé de cette hernie. Mais j’ai jeûné une quinzaine de fois entre 7 et 33 jours. J’aime jeûner l’été, quand il fait chaud et qu’on peut s’étendre dans un hamac, toujours à la campagne, bien sûr, souvent avec d’autres amis qui jeûnaient aussi; la compagnie d’autres jeûneurs aide à en faire une expérience sereine. La dernière chose qu’il faut faire, c’est de jeûner en ville, dans une maison où il y a toutes sortes d’aliments dans les armoires et le frigo et des personnes qui s’opposent au jeûne. Je connais une personne que sa famille et ses amis ont amenée de force à l’hôpital et qu’on a forcée à manger après sept jours de jeûne! J’ai fait mes premiers jeûnes dans un centre de santé avec la supervision d’une infirmière devenue hygiénisme. J’ai expérimenté toutes les formules de jeûne, le jeûne intégral à la Shelton ou Rocan, la méthode des paliers alimentaires à la Mérien, le jeûne suivi du demi-jeûne avec une demi-pomme par jour à la Mosséri, et même d’autres. Après plusieurs expériences, je savais à quoi m’attendre et pouvais me superviser moi-même J’ai aussi conseillé plusieurs personnes.
As-tu pensé à ouvrir toi-même un centre de santé et de jeûne?
Non, pas vraiment. Mais j’ai accompagné une équipe d’hygiénistes dans les Antilles avec le projet d’y établir un centre de santé et de jeûne dans un domaine où nous aurions aussi pu résider en hiver. Nous sommes passés près de fonder ce centre. Je les avais amenés visiter des plantations biologiques, des bananeraies, des orangeraies, des goyaveraies, etc. Et il ne s’agissait plus qu’à rassembler un million! Mais c’est une somme qui aurait pu être rassemblée en groupe. Je crois que ce sont des divergences de vision qui ont fait avorter le projet.
As-tu été attiré par ces pays chauds?
J’aime beaucoup les voyages, mais pas les saucettes touristiques d’une semaine dans les endroits achalandés. Je préfère les voyages de trois ou quatre mois, où je peux prendre le temps de connaître le pays et les gens. J’ai séjourné dans quelque 20 pays différents ; la Californie, l’Angleterre, l’Irlande, la France, les Antilles, la Dominique, le Venezuela, La République dominicaine, le Mexique, etc. J’ai même fait une expédition cinématographique dans une peuplade primitive précolombienne, dans la Sierra Madre, au Mexique. J’y ai filmé un documentaire qui est passé à Télévision Ontario et dont les bandes ont été acquises par le Musée royal des civilisations de Toronto.
As-tu appris des choses sur la santé en observant ces indigènes? Étaient-ils en santé? Pratiquaient-ils des méthodes de santé particulières?
J’accompagnais le médecin de l’état qui leur faisait sa visite semestrielle et le recensement en même temps. Il leur donnait un peu de vitamines, sans plus. Ils étaient très beaux, musclés, endurants, avaient de bonnes dents jusqu’à un âge avancé. Ils mangeaient deux repas frugaux par jour, le matin et le soir, buvaient peu, deux ou trois gorgées, et repartaient dans l’expédition que nous menions. Ils vivaient presque en autarcie, allaient faire certains achats en ville. Le gouvernement leur livrait par avion des boissons alcoolisées, gazeuses, de la farine et du sucre blancs, etc. Mais ces aliments étaient comme des gâteries, car leur menu principal provenait de leur culture. Ils avaient par exemple leur propre alcool, qu’ils fabriquaient avec des cactus ou des céréales.
Dans tous tes voyages, as-tu trouvé le paradis terrestre?
Oui, au Mexique.
Tu as connu plusieurs grands hygiénistes. Quel souvenir gardes-tu d’eux?
À part Mérien, dont j’ai déjà parlé, j’ai bien connu Rocan, un homme désintéressé, très généreux, dévoué; je l’ai invité souvent à donner des conférences et même si ce n’était pas toujours payant, il venait quand même. Je l’ai appelé très souvent pour lui demander conseil pour moi-même ou pour d’autres et il était très généreux de son temps. J’ai aussi bien connu Virginia Vetrano que j’ai invitée à donner des conférences, car elle parle très bien français. C’est une hygiéniste studieuse, disciplinée, joyeuse et dynamique. Elle est belle à tout âge et respire la santé. J’ai aussi rencontré Sidwha, très érudit et très affable quand je suis allé à un congrès de la National Health Association.
Hygiéniste n’est pas une profession très reconnue. Comment as-tu pu gagner ta vie dans ce domaine?
Comme je t’ai dit, j’ai réalisé plusieurs projets grâce à des subventions que j’ai obtenues en en faisant la demande en bonne et due forme. Aussi j’ai fait la vente par correspondance de livres, de cassettes et d’autres ouvrages. J’ai un mode de vie frugal; je n’ai pas de voiture, une dépense très importante dans tout budget personnel; j’ai toujours économisé un mille par année, de sorte que j’ai pu un jour m’acheter une maison, qui comprenait plusieurs logements. Il faut dire que la personne qui me l’a vendue m’a fait un bon prix! Je ne manque de rien; je me suis procuré tous les livres que j’ai voulu lire, ou je les ai trouvés en bibliothèque. J’ai fait tous les voyages que je voulais et j’en ai fait plusieurs.
Et maintenant à quoi occupes-tu ton temps?
Je ne fais plus de conférence, je n’écris plus d’articles depuis que j’ai reçu une lettre de l’Ordre professionnel des diététistes-nutritionnistes, m’enjoignant de ne plus utiliser le terme «nutritionniste» et de ne plus prodiguer de conseil dans ce domaine.
Je crois que la loi leur a octroyé l’exclusivité des termes «diététiste» et «nutritionniste», mais pas l’exercice exclusif du conseil en alimentation. Bon, tu m’as dit ce que tu ne fais plus. Et alors que fais-tu?
J’entretiens ma propriété. Je cultive un assez grand jardin. Je vis dans un microclimat, dans la partie la plus chaude de la ville. J’ai des arbres fruitiers : des pommiers, des poiriers, des cerisiers, des pruniers et des vignes qui produisent un excellent raisin de table.
Il faudrait que j’aille voir ça! Merci pour l’entretien. C’était très agréable de te revoir dans ce décor chaleureux.

 

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